XV LE DIABLE
-Forces de l’inconscient, passion, créativité-
Le diable apparait comme un tentateur qui montre la voie vers les profondeurs de l’être.
Le personnage du Diable porte deux ailes de chauve-souris : ces éléments qu’il repose dans l’obscurité, dans la nuit de l’inconscient profond. On pourrait dire qu’il représente l’envers du Pape, la lumière enfouie dans la matière.
Le Diable, ayant été un ange, manifeste un profond désir de remonter de sa caverne vers le cosmos, vers son origine, la divinité créatrice. (…)
Les personnages qui lui sont enchaînés sont couronnés par des cornes, signalant cet Arcane comme celui de la passion avant tout : passion amoureuse, passion créatrice. Cette carte contient toutes les puissances cachées de l’inconscient humain, les négatives comme les positives.
C’est aussi la carte de la tentation : un appel à la recherche du trésor occulte, de l’immortalité et de l’énergie puissante enfouie dans le psychisme, nécessaire à toute grande œuvre humaine.
Bien évidemment, cet Arcane peut aussi représenter un contrat frauduleux, dans la tradition du mythe de Faust, les déviances et dégénérescences de la sexualité, l’infantilisme, la tricherie, les délires mentaux, la rapacité économique, la gloutonnerie et toutes les attaches autodestructrices.(…)
Dans une lecture
Le Diable peut évoquer une rentrée d’argent ou tout ce qui touche à des transactions financières importantes, parfois louches ou secrètes. Il est le grand tentateur qui, dans le domaine matériel, renvoie au désir de richesse. Il représentera également un contrat prometteur mais qu’il convient d’étudier de près pour ne pas être trompé. Le Diable peut en effet conduire indifféremment, à la fortune ou à la ruine.
En revanche, il est toujours de bon augure pour les questions concernant la créativité. Il évoque la profondeur du talent, la richesse de l’inspiration, les dispositions d’un artiste véritable et une énergie créative intense.(…)
Le Diable évoquera parfois des dépendances physiologiques ou psychiques, dont il convient alors d’identifier les racines inconscientes. Problèmes de drogue ou d’alcoolisme, dépendance sexuelle, comportements autopunitifs, schémas répétitifs dans la vie émotionnelle, etc., tout cela peut être dénoué si l’on accepte d’entreprendre le travail des profondeurs.
Dans tous les cas, cette carte nous oriente vers notre nature intime, nous engage à ne pas la cacher sous des masques. La réalisation consiste à être ce que l’on est. Cela suppose de reconnaître et de conduire nos désirs.
Et si Le Diable parlait…
« Je suis Lucifer, porteur de la lumière. Mon don magnifique à l’humanité est l’absence absolue de morale. Nul ne me limite. Je transgresse toutes les lois, je brûle les constitutions et les livres sacrés.. Aucune religion ne peut me contenir. Je détruit toutes les théories, je fais exploser tous les dogmes.
« Dans le fond du fond du fond, personne n’habite plus profond que moi. Je suis la source de tous les abîmes.
Je suis celui qui donne une vie aux grottes obscures, celui qui connaît le centre autours duquel tournent toutes les densités. Je suis la viscosité de tout ce qui vainement tente d’être formel. La suprême force du magma. La puanteur qui dénonce l’hypocrisie des parfums. La charogne mère de chaque fleur. Le corrupteur des esprits vaniteux qui se vautrent dans la perfection.
« Je suis la conscience assassine du perpétuel éphémère. C’est moi, enfermé dans le souterrain du monde, qui fais trembler la cathédrale stupide de la foi. C’est moi qui à genoux mords et ensanglante les pieds des crucifiés.(…)
« Pas de paix avec loi. Pas de petits foyers établis. Pas d’Evangiles pralinés. Pas de vierge en sucre pour les langues moites de nonnes velues. Je défèque royalement sur les oiseaux lépreux de la morale. Je ne m’interdit pas d’imaginer un prophète à quatre pattes monté par un âne en rut. Je suis le chancre extasié de l’inceste, le champion de toutes les dépravations, et j’ouvre avec délices, de l’ongle de mon petit doigt, les tripes d’un innocent pour y tremper mon pain.
« Cependant, depuis le profond du profond de la caverne humaine, j’allume la torche qui organise les ténèbres. Sur une échelle d’obsidienne, j’arrive aux pieds du Créateur pour lui présenter en offrande le pouvoir de la transformation. Oui: devant la divine impermanence, je lutte pour conserver l’instinct, pour le figer comme une sculpture fluorescente.(…)
« Et je reste là, essayant d’attacher toutes les secondes les unes aux autres, d’arrêter l’écoulement du temps. C’est cela l’enfer : l’amour total envers l’œuvre divine qui s’évanouit. (…)
Ainsi, moi, lacérant mes tripes, je veux être la Vierge suprême qui accouche de Dieu et le fige sur une croix, qu’il reste pour l’éternité, ici, avec moi, toujours, sans changement, permanente permanence »
Extrait du livre d’Alexandro Jodorowsky « La voie du tarot » Edition Albin Michel.